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22 août 2007 3 22 /08 /août /2007 07:57

Jacques Perret

Quel rapport y’a-t-il entre Saint-Thomas d’Aquin et les ordinateurs ?
Aucun a priori ! Et pourtant c’est en pensant à ce que l’illustre théologien dit de l’entendement de Dieu que Jacques Perret a créé ce mot qui s’applique désormais à des millions et des millions de machines. Le 16 avril 1955, il écrit au directeur d’IBM France pour lui proposer le mot et conclut sa lettre en disant en substance : « N’hésitez pas à me donner un coup de téléphone si vous avez une autre idée...  ».

HISTOIRE DE LA CRÉATION DU MOT ORDINATEUR

Au printemps de 1955, IBM France s’apprêtait à construire dans ses ateliers de Corbeil-Essonnes (consacrés jusque-là au montage des machines mécanographiques - tabulatrices, trieuses, etc. de technologie électromécanique) les premières machines électroniques destinées au traitement de l’information. Aux États-Unis ces nouvelles machines étaient désignées sous le vocable Electronic Data Processing System ou EDPS. Le mot « computer » était plutôt réservé aux machines scientifiques et se traduisait aisément en « calculateur » ou « calculatrice ».
Sollicité par la direction de l’usine de Corbeil-Essonnes, François Girard, alors responsable du service promotion générale publicité, décida de consulter un de ses anciens maîtres, Jacques Perret, professeur de philologie latine à la Sorbonne. À cet effet il écrit une lettre à la signature de C. de Waldner, président d’IBM France. Il décrit sommairement la nature et les fonctions des nouvelles machines. Il accompagne sa lettre de brochures illustrant les machines mécanographiques. Le 16 avril, le professeur Perret lui répond.
L’ordinateur IBM 650 peut commencer sa carrière.
Protégé pendant quelques mois par IBM France, le mot fut rapidement adopté par un public de spécialistes, de chefs d’entreprises et par l’administration. IBM décida de le laisser dans le domaine public.

LA LETTRE DE JACQUES PERRET

 

Le 16 IV 1955

 

     Cher Monsieur,

Que diriez-vous d’« ordinateur » ? C’est un mot correctement formé, qui se trouve même dans le Littré comme adjectif désignant Dieu qui met de l’ordre dans le monde. Un mot de ce genre a l’avantage de donner aisément un verbe « ordiner », un nom d’action « ordination ». L’inconvénient est que « ordination » désigne une cérémonie religieuse ; mais les deux champs de signification (religion et comptabilité) sont si éloignés et la cérémonie d’ordination connue, je crois, de si peu de personnes que l’inconvénient est peut-être mineur. D’ailleurs votre machine serait « ordinateur » (et non ordination) et ce mot est tout à fait sorti de l’usage théologique. « Systémateur » serait un néologisme, mais qui ne me paraît pas offensant ; il permet « systématisé » ; - mais « système » ne me semble guère utilisable - « combinateur » a l’inconvénient du sens péjoratif de « combine » ; « combiner » est usuel donc peu capable de devenir technique ; « combination » ne me paraît guère viable à cause de la proximité de « combinaison ». Mais les Allemands ont bien leurs « combinats » (sorte de trusts, je crois), si bien que le mot aurait peut-être des possibilités autres que celles qu’évoque « combine ».
« Congesteur », « digesteur » évoquent trop « congestion » et « digestion ». « Synthétiseur » ne me paraît pas un mot assez neuf pour designer un objet spécifique, déterminé comme votre machine.
En relisant les brochures que vous m’avez données, je vois que plusieurs de vos appareils sont désignés par des noms d’agent féminins (trieuse, tabulatrice). « Ordinatrice » serait parfaitement possible et aurait même l’avantage de séparer plus encore votre machine du vocabulaire de la théologie.
l y a possibilité aussi d’ajouter à un nom d’agent un complément : « ordinatrice d’éléments complexes » ou un élément de composition, par ex. : « sélecto-systémateur ». - « Sélecto-ordinateur » a l’inconvénient de 2 « o » en hiatus, comme « électro-ordinatrice ».
Il me semble que je pencherais pour « ordinatrice électronique ». Je souhaite que ces suggestions stimulent, orientent vos propres facultés d’invention. N’hésitez pas à me donner un coup de téléphone si vous avez une idée qui vous paraisse requérir l’avis d’un philologue.

Vôtre
J. Perret

 

(Un fac-similé de la lettre originale est disponible auprès de la Direction de la communication IBM France Tours Septentrion Paris la Défense).

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