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19 novembre 2009 4 19 /11 /novembre /2009 09:22

[ 11/04/08  -  Série Limitée N° 062  ]

Depuis plus d'un quart de siècle, Armand et Martine Hadida, chercheurs infatigables, enchaînent les expériences innovantes de boutiques aux allures de galeries. Fusionnant les registres. Imposant une vision transversale de la mode. 

Armand et Martine Hadida dans leur boutique de la rue Boissy-d'Anglas, à Paris. © PHOTO : ISABELLE LÉVY-LEHMANN
Armand et Martine Hadida dans leur boutique de la rue Boissy-d\'Anglas, à Paris. © PHOTO : ISABELLE LÉVY-LEHMANN

A quoi rêve un garçon du Maroc, avant-dernier d'une famille de dix enfants, " bien élevé " par sa grande soeur, et qui accompagne rituellement sa mère dans les échoppes où l'on déroule des dizaines de rouleaux de tissu brillant ? " Sortir de ma timidité. " Et aller voir ailleurs où l'herbe est plus verte. Ce sera le kibboutz en Israël. Puis Paris et tous les petits boulots. Jusqu'au jour où il remplace un vendeur dans une boutique pointue de mode. Les clientes s'appellent Brigitte Bardot, Mireille Darc... Le déclic. " J'ai commencé ma thérapie timidité. La passion a déferlé. Celle du vêtement et des gens ", se souvient-il. Aujourd'hui, c'est la (presque) avant-dernière ouverture de boutique à l'enseigne de L'Éclaireur qu'Armand Hadida aime raconter. Un Éclaireur dans le quartier luxe et trendy d'Aoyama, à Tokyo. Forcément différent. L'innovateur a d'abord voulu un jardin, un défi au coeur d'une mégapole de béton et de verre où l'espace est si compté. Il a ensuite détourné la vitrine vers l'intérieur, en obturant la façade avec des volets patinés récupérés dans une usine textile. Il a, une fois de plus, étonné. Ensuite, les Japonais ont succombé à ses créateurs fétiches, signatures fidèles, Ann Demeulemeester et sa poésie rock, la marque italienne Haute et sa féminité sous influence vintage et ses tissus aux couleurs fanées, Carol Christian Poell, le chercheur, l'expérimentateur fort en cuirs.

Sa première boutique ? Elle est venue en rencontrant Martine : " Une vraie Parisienne, pétillante et toute en fraîcheur. Elle m'apportait tout ce dont j'avais besoin. " Ce sera, en 1979, Marithé & François Girbaud dans la Galerie des Champs-Élysées. Basculée multimarques par la suite avec Vivienne Westwood, John Galliano, Moschino et " des créateurs belges dont personne ne voulait ". Dans les années 1980, lorsque triomphent carrures imposantes et tailles étranglées façon Thierry Mugler, Armand Hadida ose les silhouettes longilignes et destructurées. Les premières chaussures Timberland, les premières Hogan et Tod's, c'est là et nulle part ailleurs qu'on les trouvait. Et déjà, il manifeste dans ses vitrines un réel talent de scénographe.

En 1990, le pionnier franchit une étape avec une révolution qui s'appelle concept store. Sous une ancienne verrière industrielle de la rue des Rosiers, il ouvre un espace de 300 mètres carrés (rapidement porté à 400 mètres carrés) dans un quartier qui amorce à peine sa mutation. Vont désormais cohabiter mode, design et d'autres expressions de la création. Les vêtements de Comme des Garçons, Ann Demeulemeester, Dries Van Noten, Alexander McQueen sont exposés aux côtés d'oeuvres de Philippe Starck, Jean Nouvel, Borek Sipek, Fornasetti... On y découvre aussi les aspirateurs révolutionnaires de James Dyson ou les " pianos " de grand restaurant d'un Alain Ducasse multi-étoilé... Depuis 2000, les hommes ont droit aussi à leur Éclaireur rue Malher. Là aussi l'architecture industrielle sert d'écrin sophistiqué à Junya Watanabe, Lanvin, Balenciaga, Undercover, Rick Owens, Dries Van Noten, Martin Margiela. On y déniche les chemises à jours et micro-plis de l'Indien Rajesh Pratap Singh, les jeans effet sali et vécu de Prps, les intrigants souliers en cuirs exotiques de Gianni Barbato, ou, surréalistes, en cuir et gomme de Mihara Yasuhiro.

Et parce que L'Éclaireur, " c'est aller de l'avant, être dans ce qui va arriver, prendre des risques, c'est le devoir de toujours séduire, toujours étonner ", Armand et Martine innovent, une fois de plus, en ouvrant, en 2001, un lieu envoûtant et intimiste cette fois, au 10, rue Hérold, dans le Ier arrondissement de Paris. Dans les anciennes écuries d'un hôtel particulier xviiie à la théâtralité mariant sublime patine et contemporain, leur boutique raconte l'histoire de créateurs de niche, le travail obsessionnel de la main comme des nouvelles technologies. La sélection est forcément pointue et confidentielle, mais s'accompagne, comme dans les autres boutiques, de découvertes au profil plus accessible. Les céramiques de Piet Hein Eek dont les effets plissés intriguent et séduisent tout comme la tête de mort de Thomas Fougerolles, le cuir arty et Arte povera de Carpe Diem, l'inspiration kimono très couture de Gustavo Lins, mais aussi les casques de moto du collectif Ruby.

Le ton est ici à la sophistication couture

Aujourd'hui, cet air du temps s'exprime avec la bibliochaise d'Alisée Matta qui voisine avec des vêtements signés Balenciaga, Lanvin, Marni et cette maille brodée façon Basquiat de Claire Tough (nouvelle pousse anglaise) posée à côté des bijoux sculptures de Thomas Lardeur. On slalome entre la Wooden Chair de Marc Newson, les sacs en python laqué de Pauric Sweeney, Martin Margiela, AF Vandevorst, les lunettes Linda Farrow ou les pièces uniques du japonais If 6 was 9 qui régalent Madonna. Histoire d'éclairer ailleurs et encore différemment, l'infatigable défricheur préférant le travail aux mondanités s'est aventuré il y a deux ans rue Boissy-d'Anglas, dans un quartier estampillé luxe. Un tournant à 180°. Le ton est ici à la sophistication couture. Les chaises baroques en bronze et cuir ou crin de cheval de Paul Mathieu et les tables en cuivre patiné de Vicenzo de Cotiis (le créateur de Haute) rencontrent la sélection de Martine Hadida, responsable des collections femme, toutes boutiques confondues. Son choix éclectique marie les valeurs sûres françaises comme Sonia Rykiel, " les robes de filles, fraîches et joyeuses du grand faiseur Oscar de La Renta ", les marques glamour Versace, Alberta Ferretti, Giambattista Valli, ou encore la féminité bien twistée de Jasmine di Milo, la ligne de trenchs (pailletés, emplumés...) signée Herno, les perles noires de Robert Wan.

L'art de la table a sa place aussi avec la vaisselle en argent de San Lorenzo ou les céramiques en terres mêlées de Sylvie Saint-André Perrin. À l'étage, la surprise est du côté bar-restaurant. Le couple Hadida et Barnaba Fornasetti - fils de Piero - ont détourné les motifs exclusifs du grand artiste surréaliste, jusqu'à ses dessins érotiques originaux qui habillent le coin dit " coquin ". Un vrai musée jubilatoire sert d'écrin à la cuisine inventive, à la fois simple et délicate, du jeune Sébastien Rémy, disciple de Ducasse et ancien de Il Cortile, rue Cambon à Paris.

Le dénicheur de tendances, né sous le signe du Bélier, a vu sa rue Hérold classée numéro un dans le très convoité guide du luxe édité chaque année par Goldman Sachs (décembre 2005). Numéro un pour l'originalité et la prise de risques. À une époque où les marques de luxe et leur marketing imposent les règles, les boutiques multimarques n'ont d'autres choix que de redoubler d'audace et d'inventivité. Armand Hadida tonne contre " les stratégies marketing en total décalage avec le comportement des consommateurs ". Martine enfonce le clou : " Les vêtements sont très chers. À la différence de Londres, Paris n'est pas une plaque tournante de la finance. Et les marques de luxe, bien évidemment courtisées par les nouveaux marchés, devraient rester plus proches des réalités des marchés "européens". "

Autre regret, le battage médiatique autour des défilés qui, selon Armand, " rend accessible la copie à tous ". " Ils devraient être présentés au moment des livraisons dans les boutiques. Et réservés à un comité de professionnels ", n'hésite-t-il pas à dire, provocateur. Parmi les derniers créateurs qui captent leur oeil sûr, Martine cite Haider Ackermann et sa femme à la noblesse à la fois urbaine et nomade, ou le créateur londonien Gareth Pugh et ses guerrières sophistiquées post-punk. Toutes Fashion Weeks confondues, Martine et Armand visionnent à eux deux plus d'une centaine de défilés et showrooms par saison, de Paris à New York, Londres, Milan, Athènes, New Delhi...

En quête perpétuelle de neuf, le fondateur et directeur artistique de L'Éclaireur va continuer à cultiver sa différence. Ce magistral metteur en scène vient de s'approprier 4 300 mètres carrés de la future Cité de la mode et du design, baptisée Docks-en-Seine. Il y orchestrera des événements culturels - design, mode et musique - et compte y installer Tranoï (en italien " Entre nous "). Ce salon professionnel, ultra-coté, géré par son fils - et dont il assure aussi la direction artistique - se tient deux fois par an lors des défilés du prêt à porter des créateurs. Forcément tendance, il réunit jeunes créateurs et marques innovantes.

" Martine me dit "Freine un peu". Mais le bonheur, c'est raconter encore et encore de belles histoires. " Il suffit de l'écouter parler, ému et volubile, de ses découvertes. De l'artiste belge Arne Quinze, par exemple : " Il défie toute logique. Il n'a pas de limites. Il travaille dans le spectaculaire, le chaos organisé. Et c'est quelqu'un de vrai, de généreux. " Et de Carol Christian Poell, sa " plus belle fierté ", il dit qu'il est capable de dormir avec le cuir mouillé pour lui imprimer la forme dont il rêve. Compromis zéro. Cela s'appelle être habité...



LEURS RESTAURANTS PRÉFÉRÉS
LES COCOTTES. Pour le côté " bonne franquette " et l'ambiance très conviviale. Le restaurant parisien de Christian Constant tire son nom des cocottes Staub dans lesquelles sont présentés les plats. Leur " cocotte " préférée ? Le filet de daurade snacké aux légumes. 135, rue Saint-Dominique, 75007 Paris.
SARDEGNA A TAVOLA. Pour l'atmosphère familiale. Pour le patron, Tonino, un peu bourru. Et les délicieuses assiettes sardes. 1, rue de Cotte, 75012 Paris.
GONPACHI. Le restaurant où a été tourné Kill Bill. Ambiance survoltée... 1-13-11 Nishi-Azabu, Minato-ku, Tokyo 106-0031.
WAVERLY INN. Un des plus vieux restaurants de New York. Très select. L'ambiance " club anglais " se marie avec une cuisine de bistro. Un must : le Mac&Cheese à la truffe. 16, Bank Street (angle Bank St. & Waverly St.), 1013 New York.

ELISABETH PAILLIE
http://www.lesechos.fr/luxe/people/300257282-armand-et-martine-hadida-profession-eclaireur.htm
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