INTERVIEW DE GILLES DE MAISTRE
A travers dix portraits de femmes disséminées aux quatre coins du monde, le réalisateur Gilles de Maistre filme cet instant fragile et puissant qui nous réunit tous, la naissance. 'Le Premier Cri' est un incroyable instantané du monde d'aujourd'hui, où, au déferlement d'émotions se juxtapose une réflexion sur notre propre condition humaine.
Loin de toute approche clinique, pudique et respectueux,
Gilles de Maistre filme avec douceur et poésie. Il capte les visages, les regards, les émotions… Entre similitudes et contradictions, au-delà de la fascination que suscite l'éclosion de la vie, le film de Gilles de Maistre met en évidence une réelle diversité : des paysages et des climats bien sûr mais surtout des cultures et des traditions. Le réalisateur nous interroge et nous interpelle sur notre conception de la vie et de la mort. La naissance devient prétexte à toute une série de réflexions sur les inégalités sociales et économiques, sur les disparités dans l'accès aux soins… Entre nature et technologie, où va le monde ?
D’où vous vient cet intérêt pour la naissance, l’acte de mettre au monde ? 'Le Premier Cri' va au-delà de la mise au monde. Je voulais faire de mon film un miroir dans lequel chacun pourrait se retrouver. Le but était de réunir plusieurs histoires pour n’en dégager qu'une seule.
A travers la naissance se révèle toute une série de problématiques passionnantes sur la réalité émotionnelle de chaque famille et plus largement encore, sur les enjeux de notre monde. Comment avez-vous abordé tout le travail de préparation, en amont du tournage ? A partir de ces dix naissances à travers le monde, il s'agissait de faire du 'Premier Cri' un film de contrastes. Des glaces de Sibérie au désert du Sahara en passant par la forêt amazonienne… Chaque environnement devait avoir un impact immédiat sur le public. Le défi était de trouver suffisamment d'éléments contrastés pour donner de l'épaisseur au fil conducteur central qu'est celui de la naissance. Et encore fallait-il bien sûr que la jeune femme choisie accepte d'être filmée pendant cet instant très intime.
'Le Premier Cri', c'est dix endroits différents, quinze mois de tournage, trois ans de travail. Et à chaque fois, énormément d'imprévus. On a suivi chacune de ces femmes sans vraiment savoir ce qui allait se passer. L'accouchement pouvait aussi bien avoir lieu le jour même comme trois semaines plus tard. Il fallait être prêt et patient. La vie est faite de cette dramaturgie naturelle qu'il s'agissait de capter au mieux.
En quoi la forme du documentaire s’adaptait justement très bien à cette incertitude permanente ? Voulant raconter la vie, je pouvais difficilement faire une fiction.
Le documentaire permet de se confronter au réel. Et finalement, je me suis retrouvé dépendant de cette réalité. Il s'agissait d'en rendre compte le plus honnêtement possible afin que chacun puisse saisir l'enjeu de chaque histoire. C'est un voyage émotionnel d'une rare intensité qui se déroule sur 48 heures, pendant lesquelles le spectateur est invité à parcourir le monde.
A la haute technologie des hôpitaux se substitue parfois la culture traditionnelle… Il y a des femmes qui accouchent dans le dénuement le plus total. Une Indienne accouche dans la rue. Une femme touareg, sur le sable du désert. Tout cela montre à quel point il existe d'énormes inégalités devant un acte pourtant partagé par toutes et tous.
Derrière le film, derrière l'histoire se trouvent aussi les grands enjeux du monde moderne. Parmi toutes ces histoires, y en a-t-il une qui vous a particulièrement ému ou déconcerté ? Ne me demandez pas de choisir parmi tous "mes" enfants.
(rires) Mais bon, c'est vrai que j'ai vibré de façon différente en fonction des endroits. A chaque lieu son émotion. C'est évident qu'on ne peut être que révolté de voir mourir un bébé dans le désert. Et c'est sûr que j'ai beaucoup plus adhéré à l'accouchement en France auprès de ce couple pleurant de joie, heureux d'accueillir leur bébé. Je pense que c'est la naissance à laquelle nous souhaitons tous assister dans notre intimité la plus profonde.
Comment avez-vous été reçu par toutes ces femmes ? Elles ont vraiment adhéré au projet et à cette idée de mêler l’universel à l’intime.
Elles ont bien assimilé le fait que le film allait regrouper le destin de plusieurs femmes, chacune symbolisant une histoire, une tradition et une culture. J'ai choisi des pays et des peuples qui présentent de très fortes identités. Des Indiens d'Amazonie, des Touaregs du Niger, des Massaïs de Tanzanie… Toutes se sont senties fières de pouvoir ainsi incarner leurs valeurs. Surtout qu'il s'agit souvent de traditions que le monde moderne engloutit inexorablement. Tous ces éléments se mélangent et donnent au film un panel de couleurs et d'émotions très contrastées.
Une diversité que vous soulignez d’autant plus par votre montage… La cohérence générale du film provient effectivement de ce jeu d'écho et de chevauchement entre le son et l'image. Je voulais absolument éviter l'approche "catalogue". Il s'agit d'une histoire à multiples facettes. Ce moment de vérité où la femme entre dans son travail d'accouchement. Où elle ne peut plus reculer et doit aller au bout, jusqu'à la naissance. Et dans chacune des histoires se trouvent la nôtre. Des histoires, des traditions, des gestes très personnels qui viennent se répondre ou se contredire. Et peu à peu se tisse la trame du film, entre rêve et réflexion.
Vous semblez vous servir de la musique comme d’un liant entre ces aventures éparpillées aux quatre coins du monde… Oui, comme l'éclipse du soleil autour de laquelle j'ai choisi de réunir – artificiellement – les dix naissances. Et le montage rassemble le tout. La bande originale est constituée de musiques, de chanteurs et d'instruments du monde entier.
On retrouve dans cette bande-son d'Armand Amar cette dimension universelle que je tenais absolument à développer. Cela devait rester la tonalité du film.
Vous montrez une nature grandiose et imperturbable. Une nature qui semble veiller sur toutes ces femmes… Elle est là pour nous rappeler notre place dans le monde. Il y a certes des paysages incroyables comme en Sibérie ou en Tanzanie, mais j'ai aussi voulu montrer des lieux qui ne présentaient pas cette beauté naturelle et grandiose. Lorsque nous sommes à Bénarès en Inde ou à Ho Chi Min au Vietnam, le contexte urbain est beaucoup plus "agressif", bruyant. Je voulais que chaque image raconte une partie de notre monde et que chacun puisse se retrouver dans cette palette de paysages.
A travers cette pluralité dont votre film se fait l’écho, vous vous interrogez sur notre propre condition humaine, sur notre rapport au monde, à la vie et à la mort… Sans se vouloir didactique, le film invite le spectateur à se poser toute une série de questions sur l'évolution de notre planète.
'Le Premier Cri' ne donne pas de réponses mais propose simplement des pistes de réflexions que le spectateur est libre d'emprunter ou non. Il est libre de simplement rester dans l'histoire ou de s'interroger sur des questions autrement plus existentielles.
Que pensez-vous de l’affirmation du docteur Yoshimura comme quoi “la technologie déshumanise la naissance. La femme n’est pas un objet et le bébé n’est pas un produit” ? C'est vrai que lorsque quelqu'un défend un avis, il a tendance à s'arc-bouter dessus. Au point de devenir parfois excessif.
Mon travail est de présenter tous ces points de vue et de me dire qu'il y a peut-être à prendre un peu dans chacun d'eux. Evidemment qu'il faut traiter la femme avec dignité. Evidemment que nous devons tout mettre en oeuvre pour protéger la vie de la maman et de son bébé. Et au Japon, le médecin favorise certes un accouchement naturel mais au moindre problème, il se tient prêt à effectuer une césarienne ou toute autre intervention qui se révélerait indispensable. Il a tout de même la technologie derrière qui veille. Mais c'est sûr qu'au milieu du désert ou en Amazonie, la femme n'a pas le choix. Elle doit accoucher dans des conditions souvent dangereuses. Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour que toutes les femmes puissent mettre au monde dans des conditions confortables et dignes.
Quel regard portez-vous sur la volonté de certains couples d’accoucher selon la tradition ou sans aucune assistance médicale ? Je pense que l'on doit apprendre de tout le monde et rester tolérant. Cette Américaine qui fait le choix d'accoucher sans aucune assistance médicale souhaite se réapproprier cet acte de communion entre la mère et l'enfant.
Vos projets ? J'ai l'envie encore assez vague de faire le pendant de ce film. Le pendant de la naissance, autrement dit, la mort. Ce sont les deux bornes qui délimitent notre passage sur terre. Nous avons cela en commun. J'aimerais pouvoir raconter la mort à travers le monde. Un sujet qui n'est pas forcément triste. Il y a, encore une fois, tout un tas de cultures où la mort est vécue comme un moment joyeux et festif. Des cultures dont nous avons certainement beaucoup à apprendre pour nous aider à nous y confronter.
Propos recueillis par Mathieu Menossi pour Evene.fr - Octobre 2007