En pleine guerre froide, les Soviétiques auraient fabriqué une centaine de mini bombes atomiques dissimulées dans des valises. Al Quaïda affirme en posséder plusieurs exemplaires. Cauchemar made in Ben Laden ou intox planétaire ?
Fin décembre 2003, une vidéo montrant un champignon atomique dans le ciel américain circule sur le net. Un message revendiqué par un groupe terroriste proche d’Al Quaïda accompagne les images : la ville de New-York sera détruite le 2 février 2004 et noyée dans un brouillard radioactif. Aucun média français ne reprend l’information. Je fouille dans les archives gouvernementales. Entendu le 11 février 2004 par l’Assemblée nationale, le ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy confirme pourtant que les USA ont pris l’alerte au sérieux : "Des informations récentes émanant des autorités américaines faisant état de menaces ont entraîné des mesures de sécurité renforcées portant sur certains vols internationaux de la compagnie Air France assurant (…) les vols Paris-Washington des 1er et 2 février 2004, certains d’entre eux étant annulés." La même semaine, le journal Al-Hayat, basé à Londres, rapporte qu’Al Quaïda a acheté en 1998, à Kandahar (Afghanistan), des armes nucléaires avec la complicité d’un scientifique ukrainien. Des armes nucléaires entre les mains de Ben Laden ? L’hypothèse est jugée crédible par certains experts.
Le nucléaire en libre-service
"C’est le général russe Alexandre Lebed qui avait levé le lièvre", se souvient Olivier Lepick, chercheur associé à la fondation pour la recherche stratégique (FRS), et co-auteur d’un ouvrage sur le terrorisme non-conventionnel. Il me précise cependant que "Lebed reste un personnage assez fantasque". Le 1er octobre 1997, en effet, l’ancien général devenu conseiller auprès du président Boris Eltsine est interrogé à Washington par la commission pour la sécurité nationale. Devant un auditoire médusé, celui qui sera mystérieusement tué dans un crash d’hélicoptère en 2002 évoque pour la première fois l’existence d’un programme militaire russe datant de l’époque de la guerre froide. Il déclare que les Russes ont fabriqué plusieurs centaines de valises nucléaires, très facilement transportables, et plus puissantes que la bombe d’Hiroshima. Il laisse entendre que certaines d’entre elles seraient mêmes enterrées dans le sous-sol américain. Tout va bien… jusqu’à ce qu’il explique que plus d’une quarantaine de ces valises a disparu des stocks de l’armée russe au moment de l’effondrement du bloc soviétique ! Insistant sur le délabrement économique de son pays où les meilleurs scientifiques ne sont plus payés depuis 6 mois, le général fournit une explication : "Quand nos meilleurs professionnels quittent l’armée, ils contactent les mafias pour leur vendre des armes et des munitions. C’est pour cela que nous avons perdu des armes chimiques, biologiques et autres armes de destruction massive." Pour des raisons diplomatiques, l’histoire est vite enterrée jusqu’aux fameux attentats du 11 septembre à New-York.
Quelques millions de dollars pour une bombe atomique
Quelques semaines après l’effondrement du World Trade Center, le quotidien pakistanais Ausaf obtient un entretien exclusif avec Ben Laden et l’un des ses adjoints, Ayman Al-Zawahri. Le journaliste Hamid Mir demande aux responsables d’Al Quaïda s’ils sont en possession d’armes de destruction massive. Zawahiri rigole et répond : "M. Mir, si vous avez 30 millions de dollars, allez en Asie centrale, contactez des scientifiques soviétiques mécontents et vous verrez qu’il est possible d’acquérir des valises nucléaires… ils nous ont contacté (…) et nous avons pu en acheter quelques unes." Une information également évoquée par le journal Al-Watan Al-Arabi, basé lui aussi à Londres, qui parle de 20 valises nucléaires récupérées par des séparatistes Tchétchènes et vendues à al-Quaïda contre du cash, des armes, et de la drogue. Le chercheur du FRS, Olivier Lepick, n’y croit pas : "l’histoire des valise nucléaires relève plus de la psychiatrie que de la stratégie, c’est une information non vérifiée, non validée, donc à priori fausse." Bruno Tertrais, spécialiste des questions nucléaires, apporte cependant quelques nuances : "nous n’avons aucune preuve de la disparition d’armes nucléaires du dispositif soviétique, par contre la fabrication de telles valises par l’URSS est très probable.". Quoiqu’il en soit poursuit-il, "de telles armes nucléaires, si elles existent, ne se trouvent pas sur un marché noir". Valérie Peclow, experte à Bruxelles auprès du groupe de recherche et d’information sur la paix et la securite (GRIP), reconnaît ne pas disposer de sources fiables au sujet de ces mini bombes mais " [sait] par contre qu’il existe clairement un marché de matériaux nucléaires pouvant être utilisés dans la fabrication de bombes, certains ayant été saisis en Europe." Valises ou non, tous les spécialistes que je contacte s’accordent cependant pour relever une autre menace cette fois-ci bien réelle et tout aussi destructrice : les bombes sales.
Le théâtre du terrorisme
Chercheur au Centre de Documentation et de Recherche sur la Paix et les Conflits basé à Lyon, Bruno Barillot est un des meilleurs spécialistes du nucléaire militaire. Il me tient un discours un peu plus rassurant. Si ces fameuses valises ont réellement existé, elles ne seraient de toute façon plus en état de fonctionner aujourd’hui. "Avec le temps, les composants chimiques s’altèrent et rendent les bombes inefficaces". Pour lui aussi la menace est ailleurs. Il me parle également des bombes sales, c’est-à-dire "l’utilisation de déchets nucléaires d’origine civile qui pourraient être assemblés avec des explosifs". "Ce serait alors, ajoute-t-il, une dispersion de matière nucléaire et non pas l’explosion d’une bombe atomique." La différence ? La ville ne serait pas détruite… seulement sa population. Je me souviens d’une excellente tribune publiée dans Le Monde en novembre 2001 par le philosophe Jean Baudrillard. Il analyse notamment la puissance de l’imaginaire terroriste sur la réalité de l’événement lui-même : "Cette violence terroriste n’est pas "réelle". Elle est pire, dans un sens : elle est symbolique."
Bruno Fay